À l’automne 2020, je suis tombé sur cette photo du détail d’une maison en bois près de Kamnik dans la vallée de Tuhinj en Slovénie. Il avait été publié sur les réseaux sociaux par Jože Kozjek, qui y travaille comme forestier, et a fait sa mission de photographier et de documenter ce qu’il considère comme des témoignages remarquables du patrimoine culturel de sa région et de son pays

Cette maison et bien d’autres sont des constructions extraordinaires, des hommages à l’inventivité humaine telle qu’elle se joue dans (ou autour d’) une forme traditionnelle.
Ce sont bien sûr des mots de «maintenant», écrits avec admiration pour un processus qui a été conduit avec une telle aisance et une telle facilité qu’il ne peut provenir que de connaissances vivantes, incarnées et partagees au sein d’une communaute. On pourrait maintenant avoir tendance à appeler cela une «tradition», un mot quelque peu mortifere pour épingler quelque chose de si vivant, virtuose et exubérant.
Étant à la fois lié et totalement étranger à mon travail sur les violons, il était fascinant pour moi d’essayer de comprendre comment ces joints pourraient être conçus et coupés.
La raison de ces quelques mots et images est de partager cette fascination.
Des maisons elles-mêmes, je sais peu de chose: elles datent du XVIIIe ou du XIXe siècle. Je suppose que comme souvent vu dans les habitations forestières [encore pratiquées aujourd’hui dans les «carbets» de la forêt tropicale de Guyane française], une clairière est coupée et la maison est construite à partir du bois abattu. Il semble que ce soit de l’épicéa, Picea Abies. Il serait intéressant de soumettre les cernes annuels pour une étude dendrochronologique, pour tenter de confirmer l’âge et aussi la provenance du bois.
Alors à propos de ces joints: une variation baroque sur une double queue d’aronde? Et pourquoi une telle virtuosité?
La méthode d’empilement, en alternant les poutres de chaque côté du coin, est claire si l’on regarde la photo ci-dessus, mais la méthode d’assemblage m’ est apparue insaisissable au début.
Les photos ci-dessous montrent le processus que j’ai suivi pour essayer de comprendre les éléments de base.
Une fois que j’ai trouvé ce qu’était une forme probable, j’ai compris quelque chose d’étonnant (et bien sur évident une fois qu’on le voit clairement!), que les pièces sont d’un seul type, avec les faces inférieure et supérieure d’une pièce donnée images en miroir l’une de l’autre, et, que deux pieces emboitees sont absolument identiques.
Essayer la coupe est seulement un aspect de la chose: j’ai trouvé que je me suis un peu amélioré après quelques essais. Une gouge, un ciseau et une scie peuvent le faire. Il y a une zone près de l’épaule du tenon qui ne peut pas être sciée, il faut donc creuser un peu avec un ciseau, mais, sinon c’est faisable.
Couper deux surfaces et les faire se rencontrer, sur une maquette à petite échelle, c’est faisable aussi!
Construire la maison elle meme, cela se ferait en utilisant des bastaings qui (je suppose) sont susceptibles de peser entre 100 kg et 200 kg chacun, où les joints devraient être installés simultanément aux quatre coins du bâtiment. Ce n’est pas une mince affaire et devrait certainement être étayé par une stratégie de marquage rigoureuse avant toute découpe, afin de minimiser le besoin de déplacer les pièces outre mesure.
Je suppose qu’une seule feuille plate avec un pli, (carton, métal (clinquant), bois mince peut-être, papier encollé?) pourrait être utilisée pour marquer toutes les lignes, conçue de telle manière que convexes et concaves soient marqués en utilisant le même dessin, si bien qu ils puissent s’ajuster. C’est bien sûr l’idée générale du marquage des joints en queue d’aronde.
C’est la raison des formes coupees dans le gabarit en carton que je montre (voir photos).
Ayant essayé d’appliquer des pressions diverses sur les pièces de bois assemblées que j’ai fabriquées, j’ai été frappé par deux propriétés de ce joint:
# lorsqu’une compression verticale lui est appliquée, le joint coudé devient plus résistant à la flexion et devient plus semblable à un renfort, (offrant donc une sorte de ceinture dans le cas d’un bâtiment) et apte à résister au cisaillement et à la tension.
# si une charge est appliquée qui force une distorsion (flexion) sur l’angle de 90 degrés, il peut y avoir un peu de jeu, et un peu de mouvement peut se produire sans qu’il y ait rupture.
Je pense que ces deux propriétés seraient très utiles dans un bâtiment en bois: il faut imaginer une toiture faite pour résister au poids de la neige, et les petits mouvements constants du bois qui est un matériau extrêmement hygroscopique.
Miraculeusement, certaines de ces maisons sont structurellement intactes après 200 ans ou plus.
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Ci-dessous: photos de Jože Kozjek de cette maison, et d’une autre de la même région avec de nombreuses caractéristiques communes







Ce court article de blog est le début de ce que j’espère être un ‘work in progress’
On pense à une version en slovène, mais aussi à une exploration plus approfondie du contexte de ces structures fascinantes.
Je tiens à remercier Jože Kozjek et Nina Katarina Štular.
Merci à Paul Mackilligin pour les conversations stimulantes qui ont conduit à cette ‘recherche en bois’!
[ © All rights reserved 2021 Bruno Guastalla + Jože Kozjek ]
Pas mal intéressant. Merci du partage
Wow, these are stunning! And we still think we have ‘progressed’ and that ‘in the old days’ people, especially in rural areas, were ‘backward’! I love it, thanks Bruno!